Le Japon va enfin accueillir Assassin’s Creed Shadows, en attendant ce moment tant attendu, voici un premier avis sur ses qualités techniques.
Il est difficile d’imaginer la pression qui pèse sur une équipe dont les attentes sont aussi élevées. Pour Ubisoft Québec, c’est en tout cas le cas en ce moment. Depuis quelques mois, l’action d’Ubisoft dégringole presque sans frein. La sortie de « Star Wars Outlaws » aurait dû mettre un terme à cette course folle vers le bas, mais en raison des faibles ventes initiales, c’est plutôt le contraire qui s’est produit. Ce malgré la bonne note que le jeu a pris chez nous. Le jeu de tir en ligne free2play « XDefiant » a également faibli, et la fin prématurée de « Concord » de Sony a choqué le secteur et ne laisse rien présager de bon pour le genre dans son ensemble. Là encore, ce n’est pas le manque de qualité qui est en cause, mais surtout une saturation de jeux de même nature. Face à cette situation inconfortable, il faut faire preuve d’imagination pour sortir du lot et rallier le public à sa cause en faisant preuve d’audace dans l’innovation ou du moins en proposant un look spectaculaire. En ce qui concerne le deuxième point au moins, « Black Myth : Wukong » vient de montrer la voie. Car sur le plan purement ludique, le développeur Game Science n’a pas non plus réinventé la roue.
« Assassin’s Creed Shadows » doit maintenant y remédier. Pourtant, les derniers volets de la série n’avaient déjà pas la vie facile. Le prédécesseur direct de « Shadows », « Mirage », auquel l’épopée prévue pour le 15 novembre 2024 sur PlayStation 5, Xbox Series X/S et PC doit faire suite, n’a obtenu qu’un Metascore de 76 points. D’une certaine manière, on a l’impression que chaque « Assassin’s Creed » est jugé à l’aune des jalons que sont « Black Flag » (2013) et « Origins » (2017) et que les responsables ont le problème de ne pas pouvoir intégrer toujours plus d’éléments de jeu et de fournir encore plus de volume. Si l’on ne veut pas que le gigantisme inhérent à la série continue de tourner à vide, il faut bien alléger quelque part, sans pour autant décevoir les attentes de trop de joueurs. Un exercice de corde raide qui semble presque impossible.
Une grande ambition, des attentes élevées
Le dernier volet, « Assassin’s Creed Shadows », se déroule dans le Japon médiéval. Les développeurs d’Ubisoft Québec ont mis au point une nouvelle version du moteur appelé « Anvil » (enclume en français), qui permet d’afficher à l’écran des représentations plus réalistes que ce qui était possible jusqu’à présent. L’éblouissant « Ghost of Tsushima » de Sony a récemment posé des jalons auxquels les créateurs d’« Assassin’s Creed » devront se mesurer. Les scènes présentées à la gamescom montrent des prairies que le vent traverse et dont chaque brin d’herbe semble bouger individuellement, des cimes d’arbres doucement caressées par le vent ou courbées par les tempêtes, ou encore des averses et des bourrasques de neige dans une représentation photoréaliste. De plus, comme l’a expliqué le directeur artistique Thierry Dansereau lors de la présentation à Cologne, tous ces éléments devraient avoir une influence directe sur les commandes et le déroulement du jeu. Mais nous y reviendrons plus tard. Il faut tout d’abord constater qu’il n’y a probablement jamais eu une représentation aussi fantastique du paysage dans les jeux vidéo que celle présentée par Dansereau à Cologne. Bien sûr, il faudra voir à la fin si tout cela fonctionne bien avec des personnages qui agissent – et qui sont contrôlables. Les bonnes bases semblent toutefois être posées.
Les concepteurs du jeu se sont en effet souvent inspirés de maîtres anciens comme Pieter Bruegel l’Ancien. La reproduction fidèle du monde visible, telle qu’elle s’est développée à partir du 15e siècle, est également un idéal pour le game design. Contrairement aux images fixes ou aux films, la nature représentée dans les jeux doit être rendue tangible par le numérique. Les joueurs ne doivent pas seulement la regarder, mais aussi se déplacer à travers elle. Si l’on veut que l’immersion soit crédible, le décor représenté est soumis à l’influence changeante de la perspective, de la lumière, des conditions météorologiques et des saisons. Dans le cas d’Assassin’s Creed, il s’y ajoute une reproduction minutieuse de chaque époque dans laquelle le joueur peut se déplacer librement – un défi artistique qu’il ne faut en aucun cas sous-estimer, même si, bien entendu, les jeux se concentrent toujours sur le gameplay et la conception des missions.
Une question de perspective
De ce point de vue, « Assassin’s Creed Shadows » offre l’application la plus cohérente à ce jour d’un principe qui traverse depuis longtemps la série « Assassin’s Creed ». Dans « Syndicate », on pouvait contrôler les jumeaux Frye Jacob et Evie à différents endroits du jeu. Le problème, c’est que les deux personnages semblaient un peu incomplets et qu’une véritable immersion n’était pas vraiment possible. Bayek était le personnage principal d’« Origins », mais à certains moments de l’intrigue, il était possible d’endosser le rôle de sa complice Aya et d’adopter ainsi une autre perspective, du moins pour un court instant. Dans « Odyssey », on avait le choix au début entre Cassandra et Alexios. Alors que diverses options de dialogue et des quêtes à embranchements conduisaient à plusieurs fins alternatives, le choix initial consistait principalement à choisir le sexe du personnage principal et à établir des relations avec des PNJ des deux sexes – une bonne déclaration, certes, mais sans grand effet sur le gameplay, qui restait en grande partie le même indépendamment de cela. Dans « Valhalla », on ne pouvait finalement choisir qu’entre un Eivor masculin et un Eivor féminin. Tout le reste, comme par exemple des missions indépendantes les unes des autres, aurait sans doute été de toute façon beaucoup trop complexe au final.
« Assassin’s Creed Shadows » introduit pour la première fois deux personnages et la possibilité de décider librement, d’une scène à l’autre, avec quel personnage on veut l’aborder. Il y a d’abord le shinobi – ou ninja – Naoe, la fille fictive de Fujibayashi Nagato, un chef ninja du XVIe siècle. Selon les règles strictes du système féodal, elle a grandi protégée et loin de la guerre, dont elle doit maintenant expérimenter les horreurs dans sa propre chair. D’après le directeur du jeu Charles Benoit, elle offre « l’expérience “AC” classique ». Concrètement, cela signifie que la très frêle Naoe est le bon choix pour toutes sortes d’acrobaties « AC » et de missions furtives. Elle sprinte sur des murs lisses, saute de manière spectaculaire depuis des toits et surgit à l’improviste de l’ombre pour éliminer silencieusement ses ennemis. Et « sortir de l’ombre » est ici à prendre au pied de la lettre. Car c’est précisément là qu’intervient la modification du décor décrite plus haut en fonction de l’heure de la journée, dont dépend entre autres l’incidence de la lumière. Cela serait bien sûr particulièrement intéressant si l’on pouvait accomplir certaines tâches à des moments différents. Mais nous ne savons pas encore si cela sera effectivement le cas. Les chutes de neige, comme on a pu le voir dans les démonstrations d’Anvil, pourraient également être intégrées au gameplay, par exemple lorsqu’il s’agit d’éviter les traces de pas traîtres.
Y a-t-il eu un samouraï “PoC” ?
Yasuke est à la fois plus simple et plus difficile. Le géant à la peau foncée est spécialisé dans le combat, il joue surtout de ses atouts au sol et dispose d’autres compétences et d’un autre arsenal que sa compagne. Notez que l’action et les objectifs restent les mêmes, mais que la manière de les aborder diffère. Apparemment, il y aura des situations qui pourront être résolues avec les deux protagonistes, ainsi que d’autres dans lesquelles seul l’un d’entre eux aura une réelle chance. Dans l’ensemble, il pourrait être intéressant de tenter certaines tâches d’abord avec Yasuke, puis avec Naoe, et d’expérimenter l’inversion des rôles. Ubisoft a peut-être trouvé là une manière très intelligente de gérer les différentes attentes des fans.
A propos des attentes. Outre le père de Naoe, qui ne joue qu’un rôle marginal dans le jeu, Yasuke est inspiré d’un personnage historique réel. Il s’agit d’un Africain qui a servi d’acolyte et de porteur d’armes à un daimyō japonais dans la seconde moitié du 16e siècle. Un débat enflammé s’est rapidement engagé sur les médias sociaux au sujet du samouraï à la peau sombre, qui n’était en réalité pas un samouraï du tout. De petites négligences dans le design, jusqu’à la forme et le motif des tapis, ont également fait l’objet de critiques, qui se sont finalement transformées en un reproche global de « manque de respect envers la culture japonaise ». Finalement, Ubisoft s’est vu contraint de rappeler qu’un jeu était en fin de compte un produit artistique et non un manuel d’histoire. C’est peut-être le destin des jeux basés sur des faits historiques de devoir passer par le purgatoire de la critique publique. Mais peut-être serait-ce une bonne idée de faire preuve d’un peu plus de sérénité de temps en temps et de se réjouir tout simplement de la sortie d’un nouvel « Assassin’s Creed », jusqu’ici très prometteur, qui ne sera certainement pas le pire de la série.
Par : Steffen Haubner