*Sans spoilers*
Le multivers du fan service
Fan de la licence Spider-Man depuis mon plus jeune âge et ayant adoré le premier film d’animation en 2018, qui avait été une véritable claque visuelle avec ses personnages travaillés et attachants, je suis allé voir ce nouvel opus avec des étoiles plein les yeux.

Malheureusement, je ne serai pas aussi positif que tout ce que j’ai pu lire à l’heure actuelle, je me dois donc de vous prévenir, cette critique ne sera pas une ode au succès de Spider-Man et ses aventures dans le multivers.
Sur le plan visuel, c’est une masterclass: oui, les plans sont sublimes et le film mêle savamment images de synthèse cel-shadées et décors brossés ou aplats de couleurs parfois (presque) abstraits, marie des couleurs vibrantes et saturées dans des alliance de contrastes qui rappellent les illustrations des plus beaux romans graphiques.
Cependant, à quoi sert tout ce travail artistique, si le regard n’a pas le temps de s’y attarder ? A l’instar des chorégraphies des films du MCU, tout est expédié très rapidement et pas de la manière la plus lisible. L’enchaînement des couleurs et des scènes, changeant toutes les quelques secondes, devient une véritable épreuve, à déconseiller aux personnes fatiguées et photosensibles. On peut également déplorer l’absence de diversité dans les tableaux: alors que le premier enchaînait les cadres (métro, cimetière, restaurant, New York en général, le labo d’Octopus, pour ne citer qu’eux), ici nous n’avons que peu d’endroits à visiter : Brooklyn, New York très vite fait, un autre lieu protégé par un filtre anti-spoil, la Spider Society et c’est à peu près tout. Les décors sont absolument magnifiques, mais on a vraiment pas le temps d’en profiter, tout va à toute vitesse. Il ne faut pas confondre frénésie et rythme ! Seule exception : une scène assez touchante entre Gwen Stacy et Miles Morales. C’est à se demander si les trois réalisateurs, et la production en général, ne se sont davantage préoccupés de la forme que du fond.
Mais l’histoire dans tout ça ?
Dans la théorie, Miles Morales se retrouve une fois de plus catapulté dans une mission décidant de la survie du multivers avec Gwen Stacy. Il fait la rencontre de la Spider Society, une véritable armée de Spider-Men et Women qui œuvrent à l’origine dans leurs univers respectifs et unissent leurs forces. Suite à un désaccord avec eux, il devra les affronter, seul contre tous (titre de la VF au passage). Cela pourrait être génial, si cela ne venait pas après une heure de film. Nous enchaînons les drames familiaux, que ce soit du côté de Miles ou de Gwen qui doivent gérer les contraintes de leur double vie. Ajoutez ensuite un peu de drame romantique et vous aurez la recette d’un ton plus “mature”.
Et c’est justement là que les ennuis commencent…
Là où le premier film, bien que présentant quelques moments difficiles, était fun et agréable, le second enchaîne le sérieux, le dramatique, avec quelques blagues pour désamorcer ces séquences, mais qui ne font qu’arracher au mieux un sourire. Adieu la petite équipe de Spider-Men/Women avec un bon temps d’écran et un développement intéressant, bonjour l’armée de références et fan service, qui fait décidément la grande force des films Spidey ces dernières années et qui semble émoustiller les spectateurs. Tout y va, des comics aux jeux, sans oublier les films, mais pas plus de trois secondes s’il vous plaît ! Pour les amateurs de VF, nous avons même un caméo de Donald Reignoux, doubleur de Spider-Man dans les jeux actuels (notamment Marvel Spider-Man et Marvel Midnight Suns).
L’expression de ce changement de ton est incarnée par Miguel O’Hara, pourtant présenté de manière comique lors de la scène post-générique du premier film, qui accumule les situations sérieuses, les crises de nerf et un caractère franchement imbuvable. Le comble pour un vampire.
Mention spéciale pour Spider-Woman aka Jessica Drew, personnage assez intéressant dans les comics. Là où Spider-Man ne sait pas forcément se battre, privilégiant la vitesse, ses toiles et son agilité, Jessica est une espionne qui connaît de multiples techniques de combat, peut projeter du venin et des phéromones. Il y avait de quoi faire quelque chose d’assez unique dans un scénario, non ? Que nenni ! Privilégions plutôt des combats à moto en étant enceinte, ce sera beaucoup mieux.
Ces personnages n’ont qu’une seule utilité : être assez exécrables pour créer une émancipation de la part des protagonistes et les faire se demander comment un héros doit se comporter. Seulement, avons-nous vraiment besoin de dénaturer des personnages au point de les rendre insupportables et méprisants envers les autres pour mettre en valeur les plus jeunes et donc les plus “gentils” ? C’est Spider-Man ! Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités, on nous l’apprend à chaque origin story. Le doute fait partie intégrante de l’ADN de ce super héros et il n’a pas besoin de voir ses versions alternatives devenir abjectes pour se remettre en question. Il y a un tel décalage entre leur scène d’introduction, où ils sont certes sérieux, mais également héroïques et le moment où on les retrouve.
Un super héros ne serait rien sans un bon antagoniste et encore une fois, la comparaison avec le premier passe mal, on remplace Kingpin (le Caïd) avec « La Tâche”. Il n’y a pas grand-chose à dire sur ce personnage : peu crédible, avec des surdoses d’humour, j’ai eu beaucoup de peine à le prendre au sérieux. Nous échangeons tout de même, en termes de motivations, un désir obsessionnel de retrouver une famille perdue, quitte à détruire le multivers, à un méchant loufoque animé d’un désir de vengeance qui devient en quelques secondes la grande menace de cette aventure.
Le film se perd un peu, récupère les miettes du premier, sans réussir à reproduire la formule qui avait fait son succès, autrement qu’en abusant de fan service. Ce n’est que vers la fin que les choses deviennent enfin intéressantes, avec de vrais enjeux, ainsi que le retour de personnages emblématiques. Cela sera de courte durée, laissant la place à un déplaisant “To be Continued”. Ce cliffhanger rend l’expérience encore moins satisfaisante, si ce n’est frustrante, surtout que le film n’a absolument rien résolu.
En dépit d’une turbo-introduction pour nous familiariser avec chaque nouveau personnage qui aura droit à plus de trois secondes à l’écran, force est de constater qu’aucun d’entre-eux n’est ensuite particulièrement développé.
Quand ils ne sont pas de véritables caricatures.
Je suis parfaitement conscient qu’une suite ne doit pas être une copie conforme du film qui la précédait. Elle doit apporter quelque chose de nouveau, tout en respectant ce qui a été instauré. Cependant, dans ce cas précis, c’est prendre un virage à 360° avec un ton qui fait mine d’être mature, mais qui semble surtout nous emmener dans des drames relationnels peu intéressants ou du moins répétitifs. Et si l’idée était de s’affranchir du film précédent, alors pourquoi mettre comme scène finale, le retour des personnages du premier, avec les deux seuls nouveaux rejoints en cours de route ?
En conclusion, Spider-Man : Across the Spider-Verse est une superbe démonstration technique qui repousse les limites graphiques de son prédécesseur au détriment des personnages, du scénario et du fond. Il n’est malheureusement qu’un épisode intermédiaire, à l’instar de nombreuses créations de la maison des idées, avant un grand final, que j’espère beaucoup plus intéressant.
Crédits du film
Distribution
Shameik Moore en Miles Morales
Hailee Steinfeld en Gwen Stacy
Oscar Isaac en Miguel O’Hara
Issa Rae en Jessica Drew
Jake Johnson en Peter B. Parker
Greta Lee en LYLA
Jason Schwartzman en La Tâche
Brian Tyree Henry en Jeff Morales
Luna Lauren Velez en Rio Morales
Shea Whigham en George Stacy
Réalisation
Joaquim Dos Santos
Kemp Powers
Justin K. Thompson
Scénario
Phil Lord
Kemp Powers
Joaquim Dos Santos
Montage
Mike Andrews
Musique
Daniel Pemberton