*sans spoiler*
Dungeons & Dragons est plutôt une réussite. À condition d’apprécier son Heroic Fantasy accompagnée de pop corn et soda, plutôt que de faisan braisé et hydromel.
Si « échec critique » apparaît très approprié pour décrire la première tentative d’adaptation au cinéma de la célèbre licence de jeu de rôle créée par TSR (aujourd’hui Wizards of the Coast, qui appartiennent eux-même à Hasbro) en 2000 par New Line Pictures (parfaitement! Ceux-là même qui ont produit The Lord of The Rings exactement une année plus tard!?), quel est le résultat de ce nouveau jet nommé Dungeons & Dragons: Honor among Thieves dés quelques 22 ans plus tard?

Un essai réussi, suivant votre approche
Pour certains, ce Dungeons & Dragons (sorti le 19 mars aux États-Unis, et le 30 mars déjà chez nos compatriotes alémaniques) semble déjà être la pépite des blockbusters fantastiques de ce début d’année 2023; mais cela dépend résolument de l’angle de vue, ou des attentes, de chacun. Il convient de préciser à quiconque a vu la bande-annonce que le film tient amplement les promesses qui y sont promues: soit un peu plus de deux heures de divertissement décérébré plus proche du Magicien d’Oz, ou d’un isekai champêtre, que de la fresque médiévale boueuse épique aux dimensions dantesques.
Pour les amateurs d’Heroic Fantasy en attente du retour du nouveau roi du genre, ou ceux qui rêvaient de voir adapté à l’écran un univers proche de ceux qu’ils ont pu connaître au travers des Baldur’s Gate, Neverwinter Nights, ou encore le macabre et somptueux Planescape: Torments, il leur faudra prendre leur mal en patience – ou simplement oublier – et se projeter une énième fois la trilogie originale de Peter Jackson Ou d’autres classiques, dont sont jalonnées les années ’80, au risque d’être bien déçus par ce spectacle inoffensif. Ou enfin, de recommencer leurs anciens jeux, en attendant la sortie de Baldur’s Gate III à l’été prochain.
Nous ne somme donc pas en présence du nouveau Seigneur des Anneaux, ni même d’un récit à l’envergure d’un Willow. Tant le projet est dénué de toute vision d’auteur pour embrasser pleinement les codes des superproductions actuelles, dont le seul objectif est de divertir et contenter un plus grand nombre, tout en veillant bien à heurter la sensibilité, les croyances – ou faire réfléchir – une minorité. Tout cela, évidemment, dans le but de maximiser les entrées.
Prise de risque minime
S’il est facile de reprocher aux studios cette frilosité à prendre le moindre risque pour ce Dungeons & Dragons , on peut pourtant le comprendre en partie lorsqu’on constate la piètre réception que réserve le public à des œuvres qui tentent de sortir un tout petit peu des sentiers battus, comme cela a été le cas l’année dernière des The Northman de Robert Eggers et AmbuLAnce de Michael Bay, et plus récemment de Ant-Man & The Wasp: Quantumania. Tandis qu’on assiste à la consécration d’un Top Gun: Maverick, espèce de suite 1.5 pour boomers et Xers nostalgiques de l’ère de l’impérialisme américain décomplexé des années Reagan, qui enchaîne les situations clichés les plus ennuyeuses.
Ce n’est donc pas un hasard si ce Dungeons & Dragons « nouveau crû » s’apparente davantage à un jeu de plateau familial de la firme Hasbro (qui sont également propriétaires d’Entertainment One, coproductrice du film… Coïncidence?) qu’à un scénario plus sombre du jeu de Wizards of the Coast (devenus propriété du groupe Hasbro… donc, pour ceux qui ne suivraient pas).
Au point que, si l’âge légal du film est fixé à 12 ans, il fait pourtant passer les deux beat’em up colorés de Capcom, estampillées D&D – Tower of Doom et Shadow Over Mystara – pour des jeux interdits aux moins de 16 ans. Et tout cela est parfaitement orchestré, afin de pouvoir vendre davantage de figurines, peluches (même des « cubes gélatineux »… si, si!), et autres marchandises.
Une comédie avant tout
Sur une histoire co-écrite par Chris McKay, issus de Robot Chicken, et réalisateur de The Lego Batman Movie ou encore du très prochain Renfield, ainsi qu’un parfait inconnu du nom de Michael Gilio. C’est le duo de scénaristes-réalisateurs Jonathan Goldstein et John Francis Daley, réputés pour leurs scénarios de comédies (Comment tuer son Boss?, Comment tuer son Boss 2), et parfois également la réalisation (Vive les Vacances), ainsi que le scénario de Spider-Man: Homecoming, qui endossent ici la double casquette de scénaristes, assistés du même Michael Gilio, et de réalisateurs. Avec aux manettes une brochette de noms qu’on verraient davantage affiliés à Conan The Destroyer plutôt qu’à Conan The Barbarian, il est plus aisé de comprendre pourquoi le film ne se prend jamais au sérieux, et est plus proche de la comédie, avec son lot de dialogues et slapsticks, que du film d’action-aventure à proprement parler; sans toutefois ne jamais commettre l’erreur de tomber dans la parodie – parfois de justesse – et risquer ainsi d’insulter les fans. Or il apparaît évident que l’enjeu était, dès le début, moins de restituer à l’écran l’univers mature et hostile du jeu, que de convoquer l’aspect convivial et le plaisir pour des joueurs de tous âges de se retrouver autour d’un plateau, ou d’une table pour une quête d’aventure dans les Royaumes Oubliés.
De l’humour pour tous les publics
S’il y a fort à parier que Goldstein et Daley se sont vus confier le projet suite au succès commercial du pourtant très poussif Spider-Man: Homecoming, faute est de constater qu’ils ont dû bénéficier d’une plus grande liberté sur D&D: Honor Among Thieves, et ainsi pu laisser libre court à leur envies, puisque malgré une structure conventionnelle sans surprise, des personnages stéréotypés – aux passés et motivations que n’auraient pas renié des rôlistes débutants –, ainsi que de nombreux gags et situations très génériques, il faut aussi savoir reconnaître lorsqu’un léger vent de fraîcheur vient apporter son lot de trouvailles inventives; qu’il s’agisse de quiproquos comme une amusante séquence de questions-réponses, un personnage que ne comprends pas l’ironie, du slapstick comme quand un autre se retrouve piégé au milieu d’un portail de téléportation, ou même d’effets de mise en scène, comme lorsque la caméra reste fixée sur un protagoniste propulsé dans les airs, tandis que l’arrière-plan se retourne et défile dans tous les sens.
S’il est au moins un point qui devrait mettre tout le monde d’accord, c’est bien l’énergie et l’ambiance de franche rigolade qui baigne tout le projet; au point que ce Dungeons & Dragons devrait arracher au moins quelques sourires même aux spectateurs les plus grincheux. Il y en a vraiment pour tous les goûts, et tous les âges; de sorte qu’un gag qui vous laisserait totalement de marbre risque d’arracher un éclat de rire à votre père, tandis qu’un autre fera plutôt pouffer vos petits frères et sœurs. On n’échappe pourtant pas à quelques cas de gags ou de péripéties qui s’étirent de manière superficielle, au point de désamorcer l’effet d’une idée pourtant initialement bonne.
Des acteurs qui s’amusent
Et c’est sans compter sur la bonne humeur – communicative – des acteurs, qui semblent tous heureux d’avoir été de la partie. À commencer par Chris Pine qui semble s’en donner à cœur joie dans le rôle d’Edgin, sorte de barde/voleur/ »planificateur » (son propre terme) et loser notoire, dont la survie ne semble dépendre que de la présence à ses côtés de l’irascible et taiseuse barbare, grande amatrice de patates, Holga, incarnée par une Michelle Rodriguez qui n’a jamais été aussi attachante depuis Girlfight, le film qui l’a révélée en 2000. Ensemble, les deux vétérans vont d’abord vivre quelques déboires avant de se mettre à la recherche de deux (éventuellement trois) compagnons plus jeunes pour mener à bien leur quête: l’apprenti magicien au grand manque de confiance en lui, Simon (Justice Smith), et son crush amoureux, la (trop?) adorable druidesse Tiefling, Doric (Sophia Lillis).
Qui vous disait que le film avait des airs de jeu de famille?
Une autre mention à Hugh Grant qui, depuis son comeback dans The Gentlemen, et davantage encore dans Operation Fortune: Ruse de Guerre, semble se délecter des rôles de traîtres ou de dominants plus intéressés par l’argent que par l’éthique.
Aussi, malgré une importante part accordée au personnage de Chris Pine, aucun des nouveaux venus n’est jamais délaissé par le scénario, qui fait d’ailleurs la part belle au travail d’équipe.
Un manque de sérieux notable
Toute cette énergie et bonne volonté sont certes plaisantes, mais n’effacent toutefois pas les défauts, bien réels, de ce genre de productions; à force de ne jamais se prendre au sérieux, c’est finalement la vraisemblance de l’univers qui finit par en pâtir. En effet, comment suspendre son jugement d’incrédulité et croire en des drames et menaces potentielles pour tout un royaume, et la vie des protagonistes, quand il suffit à ces derniers d’interroger un bourreau sur l’entretien de sa hache, pour s’évader, ou de courir dans un sens pour échapper à un danger, avant de rebrousser chemin face à un nouveau, plus grand encore? Si cela est certes sympathique, tout le monde semble beaucoup trop s’amuser pour qu’aucun acte ne semble porteur de véritables conséquences. Sauf quand le script en décide tout à coup autrement.
Donjons et Dragons: le parc à thème
Du reste, de Neverwinter à l’Outreterre (ou Underdark), les Royaumes Oubliés n’ont jamais autant ressemblé à un parc à thème, avec ses chemins balisés dépourvus de tout danger, ses grasses prairies au vert numérique saturé, ses cours et tavernes proprettes, et ses chaumières flambant neuves de décor de studio. Passé quelques panoramas de carte postale sur fond vert pour illustrer le « périple » d’Edgin et Holga au début du film – parcourir ce monde ressemble définitivement à une cueillette de champignons – l’univers manque sacrément d’envergure durant tout le reste du film, et multiplie les scènes en intérieur ou des espaces définis dans lesquels les personnages semblent comme « téléportés » d’une séquence à une autre: couloirs, cours, tavernes, cimetière, plage, arène. Et même le seul « donjon » visité ressemble à un couloir sculpté en polystyrène débouchant sur une immense aire de jeu vidéo faite de lave, ponts et plates-formes suspendues qu’on nous vend comme l’Outreterre.
Une comédie avant tout
Avec son budget de quelques 150 millions de dollars (contre 93 au tournant du siècle pour La Communauté de l’Anneau…), cela n’est sans doute pas lié à d’éventuelles restrictions budgétaires. Mais bel est bien à des choix, d’écriture, de direction. Et comme mentionné plus haut, ce film est, avant tout autre genre, une comédie, avec son lot de dialogues, et scènes verbeuses, et créée par une équipe de gens issus de la comédie. Au point que la catégorie « aventure » apparaît comme un peu usurpée, pour un film ne propose jamais de « véritable voyage » à ses protagonistes, mais s’ingénie à la téléporter d’un lieu à un autre, d’un village à un autre, ou encore des profondeurs de la terre à une plage; puis aux abords de Neverwinter dans la scène suivante.
Une quête… fragmantée
Sans ruiner complètement le film pour autant, tout cela participe à l’impression de « petitesse » qu’on peut éprouver tout au long, cette impression intangible d’un monde étriqué, sans cohérence de temps et de lieux, tout ce qui comme la cité de Neverwinter, dont on découvre soudain à la fin – parce que cela arrangeait les scénaristes– qu’elle borde un océan!?
Encore un petit point sur la mixité telle qu’elle est abordée dans le film, puisqu’il est « amusant » de relever que l’attention a été davantage portée aux notions d’inclusion relatives à nos sociétés, plutôt qu’aux nombreuses races qui peuplent l’univers du jeu de rôle…
Une bande originale au potentiel gâché
Un bémol également du côté de la bande originale de Lorne Balfe, qui, après un thème principal inspiré et très prometteur, retombe assez vite à des mélodies d’ambiance peu mémorables, à l’exception de quelques instants de mélodies éthérées. L’inconvénient provient surtout du fait que la musique se fait surtout remarquer pour les mauvaises raisons: les scènes d’action rythmées par des beats electro binaires, et des voix scandant du charabia, réduisant encore un peu le panache qu’auraient pu avoir les quelques affrontement, pourtant assez bien chorégraphiés, auxquels on a droit. Cela dit, les amateurs de Hans Zimmer et sa clique de compositeurs issus de Remote Control devraient se sentir en terrain connu dans ce Dungeons & Dragons: Honor among Thieves.
Sympathique, mais pas inoubliable
En conclusion, s’il serait injuste de qualifier ce Dungeons & Dragons: Honor among Thieves d’être sans âme, on peut surtout lui reprocher de manquer d’enjeux, et pire encore: de fond. L’ambition apparaît ici davantage de jouer dans la cour de Disney/Marvel et DC (et semble même les battre sur leur propre terrain) que de rendre ses lettres de noblesse à l’Heroic Fantasy, et au pilier que lui est l’univers de Donjons & Dragons. S’il ne trahit jamais vraiment le matériau d’origine, il ne lui rend hommage qu’en apparence(s), plutôt que dans le fond. L’énergie globale du script, ainsi que l’enthousiasme des acteurs suffisent à faire opérer le charme. Le temps du film. Mais il est toutefois regrettable qu’une œuvre d’une telle ampleur, reste aussi manichéenne, et échoue, malgré plus de deux heures, à exposer le spectateur à ne serait-ce qu’une fraction de la subtilité des dilemmes d’ordre réflexif et moral, présents dans le jeu.
Ou même les jeux vidéo.
Il n’en demeure pas moins un divertissement plus qu’honnête, qui gagne à être partagé à plusieurs, à l’instar d’une partie de jeu de rôle.
– Hmmpf! Really?!
Donjons & Dragons: L’honneur des Voleurs
134 minutes
Distribution
Chris Pine en Edgin
Michelle Rodriguez en Holga
Justice Smith en Simon
Sophia Lillis en Doric
Hugh Grant en Forge
Dasiy Head en Sofina
Regé-Jean Page en Xenq
Chloe Coleman en Kira
Bradley Cooper en Marlamin
Réalisation
John Francis Daley
Jonathan Goldstein
Histoire
Chris McKay
Michael Gilio
Scénario
Jonathan Goldstein
John Francis Daley
Michael Gilio
Direction de la Photographie
Barry Peterson
Montage
Dan Lebental
Musique
Lorne Balfe