Ou comment Sony tentent-ils d’abuser d’un public anémié avec une série B misérable.
* »Spoilers »… pour votre bien*

Un matin de juin 2023, dans la cours de récré…
— Hé ! Les gars ! I’faut trop que j’vous dise ! Hier j’ai vu un film trop bien !
— C’tait quoi ?
— Y a un Japonais, qui s’appelle Seyia et qui se bat dans une arène avec des grilles où tous les coups sont permis ! Il fait ça pour retrouver sa sœur qui a été enlevée lorsqu’il était petit, et son adversaire est badass avec des cicatrices sur tout le torse, et il frappe même l’arbitre, c’est vraiment trop cool ! Y a un public de déchaînés, avec des tepus et des lumières jaunes et bleues, et les coups sont trop abusés ! Et à un moment, parce que Seiya le provoque, y a le patron de l’arène qui entre dans le ring et défonce le crâne de l’adversaire de Seiya pour se mesurer à lui, et c’est Cassios, le premier vrai rival de Seiya du manga ! Et il le rue de coups contre la grille !
— Ah ?! Alors il a perdu ?!
— Un peu, mais tout à coup, grâce à l’énergie de son cosmos, Seiya a des ailes magiques qui apparaissent dans son dos, et il propulse Cassios de l’autre côté du ring, et il se relève et s’échappe !
— Ouaaaah !
— Et pendant tout le combat, il y avait le gars-là, de Game of Thrones, qui le regardait dans les gradins ! Vous savez, celui qui est aussi dans Silent Hill !… Boromir !
— Ah ouais ! Trop stylé ! Y a Boromir !
— Ouais, ben, il vient sauver Seiya, et ils échappent de justesse à des guerriers cyborgs de Guraad qui tombent du ciel, et il le fait monter dans une espèce de Cybertruck™ blindé conduit par Crying Freeman !
— Morgan Freeman ?
— Mais nooon ! Crying Freeman ! L’indien du Pacte des Loups, là, Marc Des Tacos !
— Non, c’est Marc « Dacascos » !
— Oui, c’est ça !
— Mais… « Guraad », c’est l’organisation créée par le grand-père adoptif de Saori, non ?
— Noooon ! C’est l’organisation démoniaque créée par Jean Grey… euh… Vander Guraad, l’ex-femme de Ned Stark ! Ils ont un gigantesque building au milieu d’une ville avec un gros « G » rouge lumineux, et ils créent des soldats cyborgs pour trouver tous les jeunes gens qui ont du cosmos pour que Jean Grey l’absorbe.
— Mais !? Pourquoi ? Ça veut rien dire !?!
— Mouais, c’est pas faux… Bref, Seiya, Stark et Dacascos sont dans le Cybertruck™, et y a une espèce d’avion-du-futur qui les poursuit et leur tirent dessus, et détruit toute la rue et les immeubles ! Et Dacascos roule hyper-vite en marche arrière ! Puis ils entrent dans un tunnel juste à temps pour éviter un missile qui fait tout exploser ! Et là, Dacascos pique Seiya avec une seringue-du-futur pour l’endormir. Et un sérum-du-futur aussi, parce qu’il s’évanouit d’un coup, et il se réveille dans un jet-privé-aussi-du-futur à côté de Boromir Stark, et ils atterrissent verticalement dans le hangar d’une immense propriété sur une île qui a l’air un peu grecque..
— Euh… okay. Et ?
— Ouais, et en fait, Stark Boromir, enfin Kido, dit à Seiya que son destin est de devenir un chevalier qui protégera sa fille, Sienna, qui est la réincarnation de la déesse Athéna.
— Ah. Euh… c’est pas Saori ? Saori Kido ?
— Oui, mais là, ils ont changé les noms parce qu’ils faisaient trop Japonais, et que ça marche que dans les mangas !
— Il a l’air nul ton film !
— Ouais, c’est vrai que ce passage est pas terrible : i’font que causer, il ne se passe rien, et Sienna a des crises de cosmos, et des blindages se déploient autour de la maison pour que Guraad ne puisse pas la détecter.
— ?!?… Hein ?!
— C’est un peu bizarre, c’est vrai. Et puis il y a le bras droit de Guraad, Nero, qui…
— Nero, comme l’empereur ?
— Non, il est pas empereur, c’est le méchant chevalier ! Après il trahit Guraad, et c’est en fait le chevalier du Phénix !
— Ouais, non, c’est officiel: ton film est nul !
— Mais attends ! Guraad et Nero, ils proposent à Cassios de devenir un cyborg pour qu’il puisse se venger de Seiya et le tuer.
— …?! Se venger de Seiya ? Mais de quoi ?
— Je sais pas trop… Je crois que c’est parce qu’il s’est enfui du match…
— Ah. D’accord. C’est logique. Et donc Seiya, if fait quoi ?
— Ben, il est un peu bête, il bouffe comme un porc et traite Sienna de fille de riche, parce que lui est un « gosse des rues », et après il va s’entraîner au sommet d’un pic dans les nuages avec Marine, le chevalier de l’Aigle.
— Ah. C’est presque comme dans le manga.
— Sauf que lorsqu’il libère sont cosmos, il a tout à coup une vision qu’il n’a jamais eue dans tous les souvenirs qu’il a eus plein de fois depuis le début du film, et qui montre que Kido Stark était aussi là quand Guraad a kidnappé sa sœur ; et il arrête son entraînement pour aller le fracasser, même si Marine lui dit qu’il n’est pas encore prêt.
— Il a l’air un peu con, ton Seiya.
— Ouais, il est pas super-intelligent, c’est vrai. Mais attends! Après y a Kido Stark qui se sacrifie en faisant exploser toute sa maison !
— Quoi ?! Mais pourquoi il fait ça ?
— Pour tuer son ex-femme, Jean Grey Guraad, qui veut tuer leur fille, Sienna…
— Et ça marche ?
— Non.
— Quoi ?!
— Non, parce qu’elle a le temps de courir et sauter à l’arrière de son avion-du-futur.
— Okay, en gros, il meurt juste pour mourir…
— Non. Je crois qu’il a aussi tué des guerriers cyborgs !
— Donc il meurt juste pour mourir.
— Peut-être. Un peu.
…
— Hé mais j’vous ai pas dit que Vander Guraad voulait tuer Sienna, parce qu’elle lui a désintégré les bras lorsqu’elle était bébé et qu’elle pense que son pouvoir va détruire la terre…
— Elle a pas de bras ?
— Si ! Elle a des bras cybernétiques !
— Ah ! D’où les guerriers cyborgs !
— Exactement ! Et elle a besoin du cosmos des…
— J’veux pas te vexer, mais il a vraiment l’air à chier, ton film !

Le Chevalier Des Brèles
Connaissez-vous la différence entre un bon film et un gros navet ?
Dans un bon film, le spectateur est généralement happé par ce qu’il se passe, et se soucie du sort des personnages ; un minimum au moins. Dans le navet en revanche…
Ce ne sera une surprise pour personne, mais cette mouture cinématographique des célèbres chevaliers créés par Masami Kurumada est non seulement une auguste daube, mais une insulte éhontée à l’œuvre originale, et s’impose d’emblée comme un des pires films à sortir en salles cette année, et de très loin. En fait, le film a tout de la production à « bas budget » direct-to-DVD – (« seulement » 60 millions de dollars!) ; ce qui aurait pu être le cas, le film étant produit par Stage 6 Films, le label de Sony dédié aux films de ce marché, ou en streaming.

Ce qui commence comme un gros nanar régressif assumé, étrangement assez dynamique et amusant durant exactement ses quinze premières minutes, tire rapidement en longueur, aussitôt qu’il se met à déblatérer son intrigue de série B débile, et que le très photogénique Mackenyu se met à faire autre chose que des chorégraphies de combat.
S’ensuit alors une succession de scènes et dialogues entre des personnages plus caricaturaux que leur alter ego papier, tout droit sortis du « Scénario pour les Nuls » : blablas d’exposition, blablas dragouille entre Seiya et Sienna, blablas pour tenter de convaincre un Seiya excessivement incrédule et stupide (un chouette héros franchement !), répétition incessante des flashbacks de l’enlèvement de sa sœur – on a compris : Seiya traumatisé, Seiya chercher sœur –, puis entraînement avec Marin(e) – « Quoi, je pensais que vous étiez un homme!? », qu’est-ce que t’as pas compris, lorsqu’on t’a dit que tu devrais t’entraîner avec un chevalier nommé « Marin(e) » ? Tu t’attendais à Cheech Marin ?! Les quelques tentatives d’humour (de boomers fatigués) sont, elles aussi, pitoyables –, blablas chez les méchants pour exécuter leur plan diabolique, montage de l’entraînement de Seiya, attaque des méchants et enlèvement de Saor… Sienna.

Et le navet amorce – enfin – péniblement sa descente vers un climax des plus affligeants de banalité, avec un duel « incroyable », à la qualité digne d’une mauvaise cinématique d’un jeu de combat au rabais, entre Seiya et Nero sur le « toit-terrasse » d’un manoir improbable. La séquence est si parfaitement lamentable qu’elle m’a même évoqué le combat final entre Aamon et Satan dans l’effroyable Devilman, de 2004.
Cette bouse va même jusqu’à fourrer sans raison la devise anarchiste « Ni Dieu ni maître » dans la bouche d’un Nero, qui n’a manifestement aucune idée de ce qu’il raconte ; et les scénaristes non plus, de toute évidence.

La pire Origin Story
Et là, oui, vous avez bien compris : ce film intitulé « Les » Chevaliers du Zodiaque n’en comporte que deux ! Et encore faut-il attendre le combat final pour qu’ils engoncent leur armure. Seiya débloque brièvement la sienne après avoir pulvérisé un rocher (… soupir) après le milieu du film, mais ne revêt qu’une espèce de vieux pyjama en loques et la demi-plaque sur son cœur… parce qu’il « n’es[t] pas encore prêt »… Oui, je sais, cela ne fait aucun sens, et ça aussi, vous l’aviez compris. Cela dit, on en saisirais mieux la raison avec le titre japonais original : 聖闘士星矢 The Beginning ; autrement dit : Saint Seiya: The Begining. Mais cela n’excuse pas un manque absolu d’ambition, et de vision créative.

Cast-astrophe
Madison Iseman est la seule parmi les jeunes acteurs à savoir proprement jouer et à s’en sortir en Sienn-Athéna, et les brefs instants dépeignant l’amour filial entre elle et Sean Bean sont singulièrement crédibles. J’ai déjà évoqué l’incapacité à jouer de Mackenyu, qui n’a définitivement que sa belle gueule et son torse travaillé – dont vous ne profiterez que quelques secondes à la fin du film, à la manière d’une images de fin dont nous gratifiais certains vieux jeux vidéos pour remercier le joueur d’avoir dépensé tant de thune dans la borne.

Mais c’est à Diego Tinoco, alias Nero, alias le chevalier du Phénix (et moi qui croyais qu’il se nommait Ikki, suis-je bête !), que revient la Framboise d’Or du pire charisme, avec son air inhabité, et son petit sourire en coin, dont il nous gratifie à quasi chaque plan. Ben oui, parce que c’est lui, le « vrai » méchant ! (Wink ! Wink !)

Nick Stahl incarne Cassos’… Cassios. Nick Stahl, Nick Stahl… Je ne rêvais pas, ce nom me disait bien quelque chose : le John Connor de Terminator 3, et diantre, comme le temps ne lui a pas fait du bien ! Pas que sa présence fût particulièrement mémorable dans T3, mais de là à ressembler à un acteur de film d’action de seconde zone…

Marc Dacascos est cool, comme toujours. Mais le rôle qui lui est confié, et qui consiste essentiellement en celui de bras-droit-garde-du-corps-majordome-à-tout-faire-pilote-de-Cybertruck™-et-jet-privé-du-futur d’Alman Kido n’est pas non plus exceptionnel. En somme, il incarne le personnage de Tokumaro Tatsumi, le majordome et garde du corps de Saori. Il a néanmoins une brève scène d’action kitsch (et donc amusante) dans le ton du début du film, lors de l’assaut de la résidence Kido.
Les deux autres vétérans ne sont là que pour la caution marketing du film : la beauté froide et magnétique de Famke Janssen prouve qu’elle peut défier l’âge et le temps. Mais elle devait surtout être heureuse qu’on lui repropose un rôle, même dans un tel navet. Et Sean Bean n’a qu’à traîner son flegme charismatique pour rendre presque n’importe quelle scène regardable. Presque. Mais il est flagrant qu’ils savent tous deux dans quoi ils sont embarqués.

Un réalisateur polyvalent talentueux, dites-vous?!
Mais c’est sans doute sur le réalisateur qu’il y a le plus à dire : pourquoi avoir fait le choix du Polonais Tomasz « Tomek » Baginski pour réaliser un machin si impersonnel ? Pas que je sois un grand amateur de son travail, mais l’homme, illustrateur, animateur et réalisateur autodidacte, a quand même un savoir-faire certain en terme de mise en scène, et un style qui lui est propre. Pour vous en convaincre, jetez un coup d’œil à son premier court-métrage, Katedra, nominé aux oscars en 2003, ou Fallen Art, de 2004, récompensé au BAFTA, ou encore The Kinematograph (moins bon toutefois) ; ils sont tous trois trouvables sur Youtube.
Quant à sa maîtrise des prises de vue réelles et gestion des effets spéciaux, un petit tour du côté d’Ambition the film, un court-métrage réalisé en 2014 en collaboration avec l’Agence Spatiale Européenne vous permettra de constater par vous-même que tout, dans ce film âgé de neuf ans, y est presque mieux que dans Les Chevaliers…

Quoi ? Le Witcher ?!… Comment ?!
Et pour celles et ceux d’entre-vous qui veulent parler gaming… Accrochez-vous.
Baginski a acquis une telle réputation dans son pays natal, qu’il n’est pas moins que le réalisateur des cinématiques d’intro des trois jeux de The Witcher, et de la cinématique de fin du premier, ainsi que – très accessoirement – du teaser de Cyberpunk 2077 , paru en 2013, et qui a fait baver tant de gamers durant quasi huit ans.
Avec un tel CV, et un pied dans tous les médias relatifs à l’image , il n’est pas si étonnant que Sony soient aller le chercher pour lui confier l’adaptation cinématographique d’un manga et anime si célèbres. Mais alors que s’est-il passé ?
Comment bien mijoter sa daube
Toute expérience qu’ait l’ami Tomek n’empêche pas le fait qu’il n’était certainement pas maître du projet, et a dû répondre à des contraintes et impératifs indépendants de sa volonté. Et avec « quelques 60 millions de dollars », le film est considéré comme une production à « petit budget ». Pourtant il est difficile d’imaginer qu’il pût être meilleur même avec 40 millions de plus. D’autant que nul n’a besoin d’avoir pris des cours d’analyse de film pour s’apercevoir que le problème majeur vient de l’écriture. Or peut-on considérer deux scénaristes qui ont écrit ensemble déjà trois films, dont le scénario de 10 Cloverfield Lane avec Damien Chazelle, et un troisième transfuge de chez Disney, qui a participé aux scénario de Cars 3, Raya et Le Dernier Dragon, et est le principal scénariste de l’insipide Luck (un Apple Original Film) comme des novices ?
Pas exactement. Plutôt des privilégiés si embourgeoisés et éloignés des réalités du quotidien qu’ils ne savent pas même comment écrire un personnage vraisemblable. Cela prévaut largement à Hollywood, mais se révèle particulièrement flagrant sur ce genre de productions, qui répètent sans la moindre remise en question des formules et poncifs déjà épuisés il y a trentaine d’années.

Mais le public n’est pas dupe. Enfin pas trop…
À l’heure où paraisse ces quelques lignes, le film est en train de se vautrer magistralement au box office, son exploitation en salle ayant généré à ce jour un peu plus du neuvième de son budget. Et il semble compliqué que ces chiffres augmentent drastiquement une fois disponible en VOD et streaming. Surtout après un massacre en règle par les critiques presse et public. Des décisions aussi lamentables de la part de studios si gigantesques ne peuvent que laisser perplexe, surtout au regard d’une licence avec laquelle le public a tissé des liens aussi profonds depuis près de deux générations.

Ce n’est évidemment – et malheureusement – pas la première fois que Saint Seiya fait l’objet d’une adaptation abâtardie et remise au goût du jour ratée, par des gens qui n’ont manifestement pas saisi les subtilités qui font le cœur de l’œuvre. Mais après tant d’années, et une évolution technologique qui permettrait enfin de retranscrire le potentiel cinématographique véritable de la saga, il s’agit là sans doute de la pire, et indéniablement la plus décevante.


Crédits du Film

Les Chevaliers Du Zodiaque (2023)
112 minutes
Distribution
Mackenyu en Seiya
Madison Iseman en Sienna
Mark Dacascos en Mylock
Diego Tinoco en Nero / Phoenix
Famke Janssen en Vander Guraad
Sean Bean en Alman Kido
Nick Stahl en Cassios
Caitlin Hutson en Marine
Katie Anne Moy en Marine (voix)
T.J. Storm en Docrates
Réalisation
Tomasz « Tomek » Baginski
Scénario
Josh Campbell
Matt Stuecken
Kiel Murray
Manga
Masami Kurumada
Direction de la Photographie
Tomasz Naumiuk
Montage
Kenny G. Krauss
Peter Pav
Musique
Yoshihiro Ike